Quand le passé ressurgit [Juliet]

Gordon n'aurait trop su dire pourquoi aujourd'hui plutôt qu'un autre, mais il avait eu envie - ou besoin, il ne savait pas bien - d'aller à Graveyard Hard. Etant donné que l'endroit était toujours pleins de Ménissiors en larmes et autres chochottes pleurant sur la tombe d'un défunt ami ou parent, le jeune Gorgeône avait pris la décision d'attendre. Ca ne le dérangeait pas plus que ça de toute manière, oiseau de nuit comme il était.

Ce fut donc à 3h du matin que notre démon prit la direction du cimetière, qu'il trouva vide comme il s'y attendait. Enfin un peu de soulagement. D'abord, il n'aurait pas à se battre, ni à attendre les gémissements trop sonores d'un Tânissar. Après, on s'étonnait que le camp du bien ait du mal à se battre en ce moment, mais s'ils se lamentaient sur chaque perte, ils ne risquaient pas de réussir à retrouver la pêche.

Sur sa gauche, à l'entrée du cimetière, Gordon remarqua une tombe assez récente et bien fleurie, et parvint à lire malgré l'obscurité le prénom de Jordan. Tiens, c'était le jeune homme aux barbelés. Instinctivement, il passa sa main sur sa blessure qui commencait à bien cicatriser, et se rappela alors les ennuis que ce petit incident lui avit causé. Paige, Julia, Elizabeth... Entre autres! S'il avait su, il l'aurait laissé mourir sans l'achever, il aurait peut-être été tranquille! Enfin bref, la question n'était pas là, et Gordon n'était pas du genre à avoir des remords. Il avait survécu, c'était le principal. Rien d'autre ne comptait.

Sans même s'en rendre compte, ses pas l'avaient guidé jusqu'au coin des Gorgeônes, et s'étaient arrêtés quasi-mécaniquement devant une tombe bien précise, une tombe dépourvue de fleurs ou quelque autre ornements. Une tombe de Gorgeône quoi. Le jeune homme se mit à genoux devant et ferma les yeux quelques secondes avant de les rouvrir paisiblement.

Hannah, sa mentor. Trois ans déjà, et Gordon ne venait que rarement ici. Il n'aimait pas l'idée de vouer un culte à un corps désséché qui pourissait sous la terre, mais allez savoir, aujourd'hui il s'était senti obligé.

Il fallait dire qu'avec tous les évenements qui s'étaient produits dernièrement et l'avaient ramenés à son passé... Norman qui lui avait confirmé que sa disparition avait été mystérieuse, ses migraines affreuses qu'il pensait évidemment être liées à son ancienne vie de Ménissior, ou peut-être le moment où il avait disparu... Le jeune homme n'avait jamais cherché à savoir pourquoi, comment et compagnie. Mais au fur et à mesure, l'envie se développait. Et Hannah... Qu'est-ce qu'elle avait bien à voir dans tout ça? Sans elle, rien ne serait arrivé. Sans elle, il serait mort. Un peu de reconnaissance ne faisait pas de mal.

Tout à coup, il vit une ombre engloutir la pierre tombale et ne bougea pourtant pas d'un pouce. Il se prépara cependant mentalement à sortir sa dague...

Encore une nuit à patrouiller dans les rues de Nohrastiliân. Encore une nuit où Juliet ne dormirait pas. Elle ne dormait presque plus de toute façon, passant ses nuits à arpenter la ville en long, en large et en travers. Il fallait bien qu'elle protège la paix en laquelle elle croyait et il fallait aussi qu'elle protège les siens.

Ces dernières nuits elle avait souvent pensé à ce qu'elle était devenue. A ce qu'elle aurait pu devenir si elle ne s'était pas enfuie face à son père il y a une vingtaine d'années. Mais avec ce genre de suppositions on pourrait mettre Paris dans une bouteille et ce n'était pas forcément le but de Juliet. Elle ce qu'elle voulait c'était du concret, du présent et un futur sain et paisible.

C'est donc tout naturellement qu'elle se dirigea vers Graveyard Hard, le cimetière de Nohrastiliân où sa mère était enterrée. Elle n'était pas venue dans cet endroit depuis longtemps, préférant la ruelle où elle s'était réfugiée après sa fuite. Pourquoi cela ne l'avait pas étonnée? Tout simplement parce qu'elle savait que son subconscient le voulait alors elle n'allait pas le repousser une fois de plus. En fait il semblerait que la sagesse de Jamie ait du bon sur elle. Il avait une certaine influence sur la jolie blonde et ce malgré le fait qu'il soit un Horckilion et elle une Menissior.

Avant de rentrer dans Graveyard, malgré l'heure particulièrement tardive, Juliet se dédoubla afin d'assurer ses arrières et de prévenir toute intrusion inoportune. Laissant donc son double quelques mètres derrière elle Juliet avança tranquillement dans les allées du cimetière. Toujours aussi doucement elle arriva devant la tombe de sa mère. Elle prit place sur la stelle et caressa les lettres du prénom de sa mère. Qui aurait cru que son père, qui l'avait tuée, lui ferait ériger une telle pierre tombale qui lui rendait hommage pour son courage, sa force de caractère, son rôle d'épouse et de mère.

Juliet ne saurait dire combien de temps elle était restée près de cette tombe. Elle avait passé son temps à se rappeler les souvenirs heureux qu'elle avait eu avec sa mère. Après tout elle pouvait se le permettre, elle avait son double qui veillait sur elle. Et puis on dit souvent qu'il faut se souvenir des bons moments passés avec une personne décédée. C'est le meilleur moyen pour éviter les regrets, les remords et surtout la douleur. Bien évidemment la douleur ne s'effacera jamais mais le travail de la mémoire la rend moins douloureuse.

Après s'être recueillie une dernière fois elle se leva et se dirigea vers la sortie. Souhaitant sortir de l'autre côté du cimetière elle devait obligatoirement passer aux côtés des tombes de Gorgeônes. Se concentrant Juliet rapprocha son double d'elle et resta qui le qui vive. Elle n'avait pas envie de se faire surprendre par un Gorgeône. Elle savait bien que les membres de ce groupe ne dormait que rarement et tournaient partout dans Nohrastiliân alors ce n'est sûrement pas la tranquilité des morts qui leur ferait peur.

Alors qu'elle allait atteindre la sortie elle passa près d'une tombe et sentit une présence. Aussitôt elle se prépara à se défendre -et non à attaquer, ce n'est pas la politique des Mennissiors. Elle allait se tourner pour assister son double en cas d'attaque quand elle eut une vision de ce que son double voyait.

- Gordon...

Non ça ne pouvait pas être possible, on lui avait dit qu'il avait disparu et qu'il était sûrement mort...

Gordon n'avait pas pour habitude d'être un garçon très nerveux. En fait, il était même plutôt calme. Impulsif certes, mais relativement posé. Ce qui signifiait que, contrairement aux trois quarts de ses comparses Gorgeônes, le jeune démon n'attaquait jamais le premier. Ou alors, rarement. Quand il avait une rage fulgurante qui lui brûlait le ventre, mais ça le prenait rarement. Alors le côté nerveux disparaissait encore plus quand il était dans un endroit tel que le cimetière de la ville.Pourtant, l'ambiance un peu glauque et autres auraient pu en faire sursauter plus d'un, mais pas lui.

C'est la raison pour laquelle il n'esquissa même pas l'ombre d'un mouvement en entendant son prénom. Comment ça? Quelqu'un qui le connaissait, ici? Voix féminine, douce, bien différente de celles des Gorgeônes. Voix familière, mais il n'aurait pas su dire qui était cette femme. Rien qu'à l'oreille, jeune. La vingtaine. Tempérament calme rien qu'à sa façon de prononcer son nom.

Calmement, Gordon se retourna et eut la surprise de voir deux jeunes femmes, dos à dos. Don de multiplication? Ouch. Heureusement que la jeune femme n'avait pas eu l'air d'être agressive, mais plutôt étonnée. Bin quoi, qu'est-ce qu'il avait encore fait? Tuer des parents? Egorger un frère? Avec son nombre de victimes, il ne savait pas bien.

En tout cas, lui ne la connaissait pas. Jolie en tout cas. Il en aurait bien fait son quatre heures. Mais là n'était pas la question.

- Ouep.

Mais à la façon qu'elle(s) avai(en)t eu de prononcer son prénom, ça n'était pas une interrogation. Elle le connaissait, avait la certitude qu'il était celui qu'il était. Bizarre alors qu'il ne sache ni d'Eve ni d'Adam qui était cette blondinette.

Le démon se releva alors et la dague qui était légèrement sortie de son fourreau d'y rangea docilement. Pas de menaces apparemment, et les Ménissiors n'étaient pas assez malins pour tendre des embuscades du genre: j'te reconnais Gordon. En tout cas pas assez bons comédiens pour que ça sonne vrai. Et ça sonnait vrai.

Gordon haussa les épaules et continua de la fixer de ses yeux bleus perçants en attendant qu'elle se décide à se bouger ou quelque chose dans ce goût là. Enfin, il fixa la personne qui lui faisait face. L'autre semblait vouloir continuer à lui tourner le dos.

- Euh... J'peux faire un truc pour que tu bouges ou bien?

C'était assez gênant de la voir rester plantée comme ça. Enfin, si Gordon avait déjà ressenti de la gêne, ça l'aurait été. Mais il n'était pas du style à se laisser impressionner par ça.

- Blondie?

Juliet ignorait comment Gordon pouvait bien se trouver là alors qu'elle était persuadée qu'il était mort. Elle se mit à gamberger sérieusement ce qui eut pour don de lui faire perdre légèrement le contrôle de son double qui se rapprocha d'elle. Lorsque Gordon confirma qu'il était bien celui dont elle avait dit le prénom quelques secondes auparavant, elle manqua de tomber à la renverse. Les Menissiors lui avaient mentis, il lui avaient dit qu'il était mort alors qu'en fait il était on ne peut plus vivant devant elle à cette minute précise. Son coeur se serrait de plus en plus dans sa poitrine et elle avait du mal à respirer. Il ne l'avait pas reconnue et elle avait l'impression que le monde s'effondrait sous ses pieds. Gordon était son confident, son protégé quand il était encore parmi les Menissiors. Comment était-ce possible?

- Gordon... C'est Juliet tu ne me reconnais pas?

Elle ne refit qu'un après avoir entendu la remarque de Gordon et eut comme une boule dans la gorge quand il l'appela 'Blondie'. Il l'appelait toujours comme ça avant qu'il ne disparaisse...
L'esprit de Juliet marchait à 3000 à l'heure, elle réfléchissait rapidement sans arriver pour autant à une quelconque conclusion. Qu'est-ce que Gordon faisait devant une tombe des Gorgeônes? Pourquoi avait-il disparu comme ça? Qu'est-ce que les Menissiors avaient à voir là dedans? Tant de questions qui n'avaient pas de réponses dans l'esprit de Juliet.

Refusant de baisser les bras elle s'approcha d'un ou deux pas vers Gordon et put voir son visage avec la faible lumière de la lune. Elle vit une balafre sur la joue et de nouvelles questions vinrent à son esprit. Comment? Quand? Pourquoi? Mais toujours pas de réponse. Sentant cependant l'incompréhension dans le regard de Gordon elle se décida enfin à parler mais il ne fallait pas qu'elle en dise trop pour ne pas qu'il prenne la fuite. Il semblait avoir tout oublier et elle ne voulait lui envoyer trop d'informations d'un coup.

- Je... Je m'appelle Juliet Green, je suis une Menissior tout comme tu l'étais avant que... avant que tu ne disparaisses de la circulation... Tu ne me reconnais pas?

Juliet ignorait comment elle pourrait stimuler la mémoire de Gordon. Il l'avait appelée 'Blondie', surnom qu'il adorait lui donner mais cela ne semblait l'avoir fait réagir lui... Tout à coup Juliet se souvint de quelque chose que Gordon pourrait peut-être reconnaitre... Elle attrapa un pendentif en argent. Un simple petit rectangle en argent mais Gordon arriverait peut-être à savoir d'où vient ce pendentif. Elle le posa délicatement dans la main de Gordon et le regarda, fébrile...

*Juliet?*

La blondinette ne refit plus qu'un, chose assez étrange à regarder en soit, et Gordon ne bougea pas d'un pouce. Juliet... Ouais, peut-être, en tout cas ça ne lui disait strictement rien comme ça, là, tout de suite. En tout cas, la scène avait tout du cliché qu'on voyait dans les films, quand le héros amnésique retrouve un élément de son passé. A vrai dire, c'était ça.

Il aurait du répondre "Non". Mais au lieu de ça, il garda un regard implacable, glacial et distant, son regard ordinaire depuis qu'il était chez les Gorgeônes. Avant, était-il comme ça? Etait-il un Ménissior avec une part d'ombre ou alors il y avait quelque chose entre les deux? Gordon s'était posé tellement de questions à ce sujet qu'il ne savait même plus quoi en penser. Il y avait fort à parier que le fait qu'il se soit retrouvé humilié, démuni et en position de faiblesse face à une troupe de démons en furie ait un tout petit peu contribué à le rendre moins bon. Et si ça se trouvait, peut-être qu'on l'avait abandonné parce qu'il était... mauvais. C'était possible, ces conn*rds de Ménissiors auraient peut-être pu se la jouer nazis purificateurs en envoyant paître ailleurs les possibles éléments perturbateurs.

Quand Gordon avait prononcé le mot "Blondie", il y avait senti comme quelque chose de familier. Comme s'il l'avait déjà dit avant, alors qu'en réalité il ne situait pas du tout la jeune femme. Gordon avait pour habitude de trouver des espèces de petits surnoms ironiques, qu'il ne disait tout haut que pour les pseudo-ennemis, ou pour attirer l'attention comme à l'instant. Mais Blondie... Bin quoi, elle était blonde non?

Déjà une chose: il n'avait pas changé physiquement apparemment. Alors pourquoi aucun Ménissior ne l'avait reconnu en cinq ans? Gordon se perdait dans un méandre de questions personnelles un peu trop complexes qui auraient pu lui filer une sacrée migraine rien qu'en pensant autant. Mais non, les pires migraines étaient celles causées par ces genres de visions, qui ne s'étaient heureusement pas déclenchées depuis une bonne semaine maintenant. Ca le soulageait, et en même temps l'inquiétait. Ces derniers temps, elles avaient été de plus en plus fréquentes, alors pourquoi s'arrêter maintenant? C'était à devenir fou, et si Gordon se considérait déjà comme quelqu'un de psychologiquement instable parfois, il y avait fort à parier que ça n'irait certainement pas en s'arrangeant!

Un nom de famille cette fois, une précision de son camp qui n'était même pas nécessaire, une petite phrase pour lui rappeler qu'il avait disparu - ça merci, mais il le savait déjà - et toujours la même question. Il y avait fort à parier que s'il la reconnaissait, il le lui aurait dit et basta. Mais là, devant un tel regard, complètement en décalage et un peu sauvage, il fallait le reconnaître - mais telle était la nature du nouveau Gordon Price - elle aurait quand même pu comprendre qu'il ne captait pas du tout qui elle était. En fait, elle le savait parfaitement mais sans doute essayait-elle de se convaincre qu'il allait recouvrer la mémoire, là comme ça.

*Si seulement ça pouvait marcher comme ça!*

Gordon regarda, l'air un peu surpris mais toujours aussi invariable et glacé, la jeune Ménissior déposer un espèce de pendentif dans sa main. Euh oui, peut-être? Et? Soupirant et levant les yeux devant un tel spectacle légèrement trop larmoyant pour lui, le démon tenta tant bien que mal de se concentrer sur le petit bout de métal argenté. Mais rien.

Il ferma donc la paume et s'apprêta à le lui rendre quand il se rappela de quelque chose. Ca datait, mais il s'en souvenait. Il plongea alors une main dans la poche arrière de son jean et en sortit le même genre de pendentif, en forme de U. Il s'était réveillé avec ça autour du cou et l'avait gardé, comme une espèce de relique, un certain temps, mais le collier s'était cassé rapidement lors d'une bataille. Il le mettait alors machinalement dans sa poche quand il changeait de jean, mais n'y prêtait même pas attention avec la force de l'habitude.

Il approcha alors le U du rectangle et remarqua que les deux s'imbriquaient à la perfection. Gordon leva alors les yeux et fixa ceux de Juliet, se décidant après de longues secondes à enfin ouvrir les lèvres.

- Qu'est-ce que tu sais?

Question générale. Sur lui, sur sa vie, sa disparition, peu importait. Il voulait savoir, c'était tout ce qui comptait à ses yeux.

Le regard et la voix de Gordon faisait énormément de mal à Juliet. Elle avait en face d'elle un homme, aussi jeune soit-il, qu'elle aimait de tout son coeur. Il n'avaient été que des amis mais leur amitié avait été fusionnelle et sans bornes. Cela peut vraiment paraître futile et larmoyant à qui ne connait pas l'histoire mais pour Juliet ça a son lot d'importance. Gordon était le seul à qui Juliet se confiait quand elle avait mal et qu'elle avait besoin de parler. Le voir là devant cette tombe d'un ou une Gorgeône, le voir se comporter de la sorte lui faisait mal oui.

Une fois Juliet eut-elle posée le pendentif dans la main de Gordon qu'elle sentit qu'il voulait le lui rendre. Elle le trouvait tellement froid que ça en était sacrément désarmant. Elle n'avait pas été habituée à une telle attitude de sa part et le voir comme ça l'étonnait et lui faisait peur. Que lui était-il arrivé pour qu'il ait changé de camp, pour qu'il soit aussi froid et distant?

Pendant que Gordon observait le pendentif une seconde fois plus attentivement, Juliet l'observait. Il n'avait pas changé d'un cil, il avait juste quelques cicatrices qui étaient apparues et un air plus sombre mais bon ça Juliet s'en doutait s'il faisait parti des Gorgeônes. Quand elle le vit sortir un pendentif de sa poche, le même que celui qu'elle lui avait montré, et les assembler elle le regarda plus intensément, c'est là qu'elle entendit sa voix lui demander ce qu'elle savait...

- Je sais que tu as disparu mais on ne m'a jamais rien dit. On était les meilleurs amis du monde, tu étais mon confident, j'étais comme ta grande soeur... Tu faisais partie des Menissiors, tu nous aidais beaucoup même si certains considéraient que tu étais inutile car tu n'avais pas de pouvoir concret... Tu étais quelqu'un de calme, réfléchi, posé, marrant, toujours là pour aider...

Juliet marqua une pause. Se rappeler de tout ça lui faisait mal car elle l'avait cru mort. Même si elle n'avait pas su son corps elle s'était imaginé ce scénario et inconsciemment avait fait son deuil même si cela semblait dur à concevoir.

- Tu ne te souviens de rien toi? Je veux dire tu as tout oublié ou tu as encore quelques bribes de souvenirs?

Elle ne voulait pas le brusquer. Déjà qu'elle avait ressenti une certaine froideur dans son attitude alors si elle lui posait trop de question il risquait de se braquer et de l'envoyer paître alors que ce que Juliet voulait c'était retrouver son meilleur ami...

Bien qu'à première vue il en avait tout l'air, Gordon n'était pas un monstre. Du moins, ne l'était pas vraiment devenu avec le temps. Il restait plus ou moins un homme derrière l'apparence démoniaque et calculatrice qu'il affichait. Du moins, il essayait de garder une once de conscience, de sympathie pour les autres. Parce que ça marchait comme ça dans la tête de Gordon. Il y avait lui, et les autres. Point final. C'était égoïste, mais c'était surtout le seul moyen de survivre dans cette guerre de fou. Laisser crever le voisin pour s'en servir comme bouclier. Regarder l'autre mourir pendant qu'on se planque derrière un mur. Même les Ménissiors le faisaient. Tous les guerriers le faisaient. Du moins, ceux qui tenaient un tant soit peu à la vie. C'était plus simple pour les Gorgeônes, moins d'attaches que les pauvres petits angelots qui pleurnichaient quand l'un des leurs tombait.

Enfin, tout ça pour dire que Gordon comprenait un tant soit peu la peine qu'il lisait dans les yeux de Juliet. Enfin, question de point de vue... Niveau peine, Gordon avait un peu de mal. Niveau émotion tout court d'ailleurs. Fin psychologue à force d'observer, il pouvait facilement analyser quelqu'un et le cerner pour capter ses faiblesses. Trop impulsif, trop calme, trop appuyé sur le côté gauche... Mais quand par contre, c'était à lui de ressentir des émotions, c'était dur. Ah, le plaisir, la douleur, le désir, la colère, tout ça il pouvait. Les choses plus subtiles, comme la nostalgie, le manque d'un être cher, la peur pour l'autre ou toutes ces choses altruistes. La solidarité? Dur à se faire à cette idée. Mais Gordon arrivait à comprendre qu'elle puisse se sentir mal. Elle le connaissait, apparemment l'appréciait dans le temps, et maintenant il la regardait comme si elle n'était rien d'autre qu'une sombre inconnue du camp adverse.

Elle le regarda dans les yeux en expliquant. Meilleur ami... Il avait donc eu des amis? Lui, il avait tenu à quelqu'un? Il avait eu... une sœur de cœur? La nouvelle n'était même pas encaissée par le cerveau du jeune démon, qui ne montrait aucune marque d'émotion sur son visage. Côté Ménissior, il était au courant. L'inutilité, ça ne l'étonnait pas le moins du monde. Salauds de Ménissiors. Calme, encore maintenant. Posé et réfléchi, tout pareil. Quoique... S'il savait prendre son temps pour prendre une décision, dans le feu de l'action ou pour son petit plaisir et une dose d'adrénaline, il aimait suivre son instinct, quitte à se mettre dans de sales situations. Côté Gorgeône sans doute.

Néanmoins, Gordon n'avait pu s'empêcher d'esquisser un sourire ironique en l'entendant mentionner son manque de pouvoir. Bin tiens donc... S'ils savaient. D'ailleurs, ils savaient? En tout cas, sauraient bientôt. Il songea à un petit effet de style, mais par politesse, la laissa terminer. Et non, il n'était pas un goujat non plus. Il haussa alors les épaules face à sa question inutile.

- En revanche, moi aussi j'ai un truc à t'apprendre.

Les deux pendentifs se soulevèrent alors, sans aucune difficulté pour Gordon qui commençait à maîtriser son pouvoir avec une facilité déconcertante, et vinrent se glisser autour du cou de la jeune femme visiblement surprise. C'est vrai que ça devait faire un peu bizarre. Mais soit.

En fait, ce qui embêtait Gordon, c'était qu'il ne savait pas du tout comment réagir. Il avait espérer ce moment depuis des années, avoir un quelque chose de son passé. Mais peut-être qu'il en attendait trop. Qu'il espérait que quelque chose lui reviendrait. Mais c'était désolant. Les traits de Juliet ne lui disait rien.

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